Les scientifiques sont souvent ignorants

Les Zizians ajoutent leur histoire à une longue liste de scientifiques ignorants. Ted Kaczynski, surnommé Unabomber , docteur en mathématiques et professeur à Berkeley, était du même acabit. Ces histoires seraient ridicules si elles n’avaient pas impliqué des meurtres de personnes innocentes et des vies gâchées, y compris celles des criminels, et si elles n’avaient pas suggéré des problèmes de connaissance plus profonds. Beaucoup de Zizians étaient diplômés en informatique. Ils étaient attirés par le « mouvement rationaliste » et ont fréquenté le Center for Applied Rationality de Berkeley, bien que ce groupe les ait finalement expulsés. (Voir Zusha Elinson, « A Silicon Valley Intellectual Society Kicked Them Out. Now They're Tied to a Killing Spree », Wall Street Journal , 22 février 2025.)

José Ortega, philosophe espagnol de la première moitié du XXe siècle, estimait que l’homme de science typique était un « ignorant érudit » et un barbare intellectuel. Comme l’« homme de masse », le scientifique ne s’intéresse pas à la compréhension des conditions de la civilisation ni même des conditions d’existence de la science, ni de la nécessité étroitement liée de certaines institutions libérales. Il estime que la prospérité « est le fruit spontané d’un arbre édénique » (voir ma critique de Regulation du livre d’Ortega de 1930 La révolte des masses ).

Frédéric Hayek a expliqué le problème du « scientisme », qu’il a défini comme une application impropre et naïve des méthodes des sciences exactes à l’étude de la société. Il est très tentant, en particulier pour les experts scientifiques aux idées étroites et sans connaissances en économie, de négliger les préférences variées qui motivent les actions individuelles et d’ignorer l’ordre social non planifié qui en résulte. Un ordre social efficace pour satisfaire les préférences individuelles est impossible à concevoir et à reconstruire d’en haut. Nous devons nous méfier de ce que Hayek, dans son discours pour le Nobel, a appelé « la prétention à la connaissance ». (Voir le livre de Hayek de 1952 La Contre-révolution de la science , dont la première partie reproduit une série d’articles d’ Economica intitulée « Le scientisme et l’étude de la société »).

Les scientifiques, et peut-être surtout les informaticiens, sont sujets à un biais professionnel qui peut les amener à croire qu’ils ont les outils pour façonner la société selon leurs propres préférences. Les Zizians et Unabomber ont ajouté le meurtre à la boîte à outils de l’ingénieur. Quoi qu’il en soit, l’ingénierie sociale consiste à modeler de manière coercitive l’esprit et la vie de ses semblables. Une connaissance de base de l’économie, qui étudie les conséquences sociales des actions individuelles, y compris les échanges , est un bon antidote au sectarisme et aux illusions de l’ingénierie sociale. (On peut peut-être aussi faire valoir qu’une pratique trop spécialisée ou trop prétentieuse de l’économie risque également de transformer un économiste en ingénieur social.)

Rien de ce que j’ai dit ne vise à condamner l’usage de la raison. La rationalité reste notre principal outil pour comprendre le monde physique et social, à condition de rester conscient des limites de la raison. Quelqu’un qui n’a étudié qu’un domaine scientifique restreint, sans conscience du monde social qui l’entoure dans le temps et l’espace, risque de devenir un ignorant, un adepte d’une secte, un barbare, ou tout cela à la fois.

PS : Pardonnez mon esprit français un peu puéril, mais les Ziziens ne connaissent certainement pas bien la langue d’ Émile Faguet car ils auraient autrement trouvé une étiquette moins enfantine et patriarcale pour leur culte. Sur le français et les jeux de mots, voir le délicieux article de Lucy Sante, « Le français sans larmes ».

*****************************