Le «conclave» sur les retraites s’achève sur un constat d’échec
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L’affaire était mal emmanchée, elle a débouché sur un échec, constaté par l’ensemble des organisations syndicales ce lundi 23 juin en fin de soirée. «Le patronat vient de fermer la porte aux trois organisations syndicales qui se sont battues jusqu’au bout», a déclaré à la presse Yvan Ricordeau, le négociateur en chef de la CFDT, à l’issue de la dix-septième et toute dernière réunion du «conclave» sur les retraites. Cet objet, mis en orbite par le Premier ministre pour permettre de réviser la réforme de 2023 et sauver sa peau face à un risque de censure, s’est donc finalement crashé. François Bayrou doit prendre la parole mardi matin depuis l’hôtel de Matignon.
La faute à qui ? «A personne», tentait de déminer par avance Patrick Martin, le président du Medef, en début d’après-midi. Les syndicats, eux, avaient au contraire de quoi discourir longtemps sur le comportement du premier mouvement patronal, qui a attendu la dernière ligne droite pour esquisser quelques propositions sur la pénibilité et les carrières des femmes. Loin des attentes d’organisations entrées dans le jeu de la négociation pour tenter d’amoindrir les effets d’une réforme qui fut massivement contestée il y a deux ans en raison du report de l’âge légal à 64 ans.
«Au bout de toute l’après-midi, le constat est fait que le patronat ne bougera pas sur la réparation de la pénibilité, ce qui provoque l’échec de la négociation», a résumé Yvan Ricordeau, évoquant le refus du Medef de réintégrer dans le compte professionnel de pénibilité (C2P) les facteurs de pénibilité physiques qui en avaient été exclus en 2017, pour qu’ils permettent de partir avant l’âge légal. «Il n’y a pas eu l’amélioration majeure qu’on cherchait : comment les quatre millions de salariés les plus exposés auraient un avantage différentiel», a expliqué le responsable cédétiste. La lecture patronale, dans la bouche d’Eric Chevée, le négociateur de la CPME, est sans surprise différente : «On a échoué parce que fondamentalement on a deux visions qui s’opposent. D’un côté, on [les syndicats] considère que le travail n’est jamais la solution est que l’objectif est de sortir un maximum de monde de l’exposition au travail, alors que nous pensons que le travail est la solution pour financer notre modèle social.»
«Les femmes sauront qui a pris la responsabilité de planter la négociation», a complété, côté syndical, Pascale Coton, la négociatrice de la CFTC, en faisant référence à plusieurs mesures qui avaient été mises sur la table pour compenser les inégalités femmes-hommes à la retraite : un abaissement de l’âge d’annulation de la décote de 67 ans à 66 ou 66 ans et demi, un meilleur calcul de la pension pour les mères de famille (sur les 23 ou 24 meilleures années selon le nombre d’enfants, et non pas les 25), une prise en compte des trimestres acquis dans le cadre de la maternité dans le dispositif des carrières longues…
La cheffe de file de la CFE-CGC, Christelle Thieffinne, a quant à elle dénoncé la «déloyauté» de la partie patronale. Car si la réunion a duré plusieurs heures, l’affaire a en réalité semblé soldée dès le début de l’après-midi, à l’occasion d’une drôle de mise en scène : les présidents du Medef et de la CPME, Patrick Martin et Amir Reza-Tofighi, s’affichant devant le bâtiment gouvernemental où allaient se dérouler les ultimes échanges. Les caméras et les micros se sont alors pressés devant eux pour les entendre ressasser les éléments de langage patronaux habituels : «dégradation de la conjoncture», «ne pas dégrader les comptes publics», «ne pas augmenter le coût du travail». Et annoncer qu’ils allaient mettre sur la table une proposition, élaborée en commun, pour répondre aux attentes des syndicats.
Seulement, le projet esquissé n’était pas franchement nouveau par rapport à ce que le patronat avait déjà mis sur la table ces dernières semaines, et qui semblait loin de pouvoir satisfaire les organisations des travailleurs. Surtout, le principe même de cette initiative a été très mal reçu par les syndicats. A quelques mètres de l’attroupement médiatique, le négociateur de la CFDT, Yvan Ricordeau, et celle de la CFE-CGC, Christelle Thieffinne, l’ont vivement disqualifiée : lui évoquant un «torpillage en direct de la négociation», elle soulignant qu’il n’était pas «possible de partir des propositions» du Medef et de la CPME.
La réunion de l’après-midi devait, en effet, se focaliser sur un projet de «relevé de conclusions», rédigé par l’animateur de la négociation, Jean-Jacques Marette, pour voir s’il était encore possible de dépasser le constat d’échec qui avait failli s’imposer le mardi 17 juin, jour supposé de la conclusion des échanges. Or, ce projet, qui tentait de concilier un certain nombre de propositions syndicales comme patronales, a été vu par le Medef comme étant «celui des organisations syndicales», selon Christelle Thieffinne. «Pour la partie patronale, ce texte n’existait pas», a aussi dit Yvan Ricordeau. Preuve que la méthode mise en place par le Premier ministre, avec un «tiers de confiance» chargé de superviser les échanges, a fini par rééquilibrer le jeu au profit des syndicats, et que le Medef, habitué à tenir le stylo dans les négociations interprofessionnelles, n’a guère goûté cette perte de pouvoir.
Loin de cette tonalité, la cheffe de file du mouvement patronal, Diane Milleron-Deperrois, a manifesté son «incompréhension» face à cet échec, assurant qu’«on ne pourra pas dire que le Medef n’a pas fait de propositions d’avancées très concrètes». Pour autant, elle a assumé de restreindre grandement les possibilités de partir avant l’âge légal en raison de la pénibilité : «On ne peut pas nous demander d’augmenter le taux d’emploi des seniors et en même temps continuer à se positionner en ouvrant les vannes sur les départs anticipés, sans cibler».
Pour la CPME, qui s’est ralliée au Medef ce lundi après avoir pourtant joué une partition plus conciliante avec les syndicats durant toute la négociation, la copie finale de Jean-Jacques Marette, l’ancien directeur général des retraites complémentaires de l’Agirc-Arrco, était inacceptable parce qu’elle contenait une hausse de 0,2 point du forfait social, un impôt appliqué à hauteur de 20 % sur certains éléments de rémunération, a expliqué Eric Chevée. Mais «ça ne peut être que partie remise», a-t-il dit, évoquant le fait qu’un accord a été à portée de main.
Dans l’immédiat, François Bayrou va devoir dire ce qu’il retient de ces échanges, mêmes infructueux. Aussitôt connu l’échec des négociations, la France insoumise a confirmé le dépôt d’une motion de censure, son leader Jean-Luc Mélenchon appelant sur X le Parti socialiste à «assumer cet échec et ses dégâts», et à voter cette censure.
Libération