Finances publiques, taxe Zucman, Lecornu : Bruno Le Maire sort de son silence un an après son départ du gouvernement
Il avait été silencieux pendant plus d’un an dans les médias. Depuis son pot de départ dans la cour de Bercy le 12 septembre 2024, devant un parterre de ministres, de députés, d’agent du ministère et de patrons, Bruno Le Maire s’était fait discret, refusant de commenter sa nomination au poste de conseiller auprès du géant néerlandais des semi-conducteurs ASML Holding. Cette période de silence est désormais révolue, avec un entretien accordé à l’Usine nouvelle, publié ce lundi 22 septembre matin.
Ce que l’on peut dire, c’est que l’ancien ministre de l’Economie d’Emmanuel Macron de 2017 à 2024 semble s’être habitué à son rôle de conseiller spécial, défendant l’investissement d’ASML de 1,3 milliard d’euros dans la start-up française d’intelligence artificielle Mistral AI. Mais ce ne sont pas tant ses positions sur l’industrie des semi-conducteurs qui étaient les plus attendues que ses commentaires sur l’actualité française. Alors que trois Premiers ministres ont arpenté les couloirs de Matignon depuis son départ et que le pays paye toujours les effets de la dissolution, l’ancien cadre des Républicains n’est pas tendre avec la décision du Président de dissoudre l’Assemblée. «Quel saccage !» regrette Bruno Le Maire. Pestant contre la fermeture d’usines en France depuis plusieurs mois et «les incertitudes politiques [minant] la confiance des investisseurs», il dénonce également la «désindustrialisation de la France».
Mais l’ancien locataire de Bercy peine à faire son autocritique. Pourtant, sous son règne aux Finances, la dette française a explosé passant de 98,9 % du PIB au premier semestre de 2017 à 112 % au deuxième semestre de 2024. Si le dérapage n’est pas de son seul fait - la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ont largement contribué à plomber le budget - l’ex-ministre de l’Economie tient à répondre. «Bien sûr que c’est un échec de ne pas avoir pu mener à terme le rétablissement de nos finances publiques, répond Le Maire, interrogé sur sa part de responsabilité. Cela reste une blessure profonde pour moi.» Alors qu’il rappelle qu’un plan d’économie de 30 milliards d’euros avait été lancé avant son départ, «coupé net» par la dissolution, il omet de préciser que cette tentative était justement faite pour enrayer le dérapage budgétaire.
Auditionné par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale en décembre, l’ancien député de l’Eure s’était déjà défendu, préférant dénoncer l’«hypocrisie» des députés. «Cette Assemblée taxe, dépense, censure, s’était-il agacé devant les parlementaires. Elle vote toutes les dépenses nouvelles – manière un peu baroque de redresser les comptes.» Opposé à une hausse des impôts, il tape sur la taxe Zucman, l’impôt annuel de 2 % sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros. «Avant de penser à redistribuer, pensons à créer des richesses», justifie-t-il. Plutôt que de taxer les grandes fortunes, il estime que «le combat indispensable pour la justice fiscale se joue au niveau international», continuant de défendre sa taxe Gafam votée en 2019.
Alors que Bruxelles a échoué à mettre en place une taxe similaire à l’échelle européenne, Bruno Le Maire n’hésite pas à critiquer l’UE et ses faiblesses. Il dénonce les lourdes réglementations européennes, l’inactivité de la Commission européenne («une bande de technocrates qui ne mesure pas la vitesse avec laquelle le monde se transforme») ou la frilosité des dirigeants européens face aux présidents américain et chinois. Il tape aussi sur l’accord commercial passé entre Ursula von der Leyen et Donald Trump en juillet dernier, imposant 15 % de droits de douane sur la plupart des produits importés de l’UE vers les Etats-Unis. Pourtant, le géant néerlandais que conseille Bruno Le Maire profite d’une exemption de cette taxe, les Etats-Unis ayant besoin de semi-conducteurs pour l’équipement de ses usines.
Interrogé sur la nomination de Sébastien Lecornu comme Premier ministre, Bruno Le Maire estime que son ancien conseiller politique et directeur de campagne lors de la primaire de la droite en 2016 est l’homme de la situation : «Je pense qu’il est très bien placé pour trouver une voie de passage», avant de réclamer l’écriture d’un nouveau modèle économique et social : «Nous ne sommes plus en 1945. Nous n’avons pas corrigé les erreurs fondamentales de 1981. Tout reste à imaginer.» Un discours qui fait écho à celui du patron de Renaissance, Gabriel Attal, la veille, à Arras, appelant à «se réinventer» et à créer une «nouvelle République».
Mais détrompez-vous, la politique est terminée pour Le Maire. Si début septembre, le Canard enchaîné affirmait que l’ancien locataire de Bercy lorgnait le ministère des Affaires étrangères dans le gouvernement Lecornu, au point d’avoir déjà contacté ses anciens collègues ministres pour le faire savoir, il nie. «Cela est totalement exclu», répond-il à l’Usine nouvelle. Il ajoute : «J’ai considéré que nous n’avions plus les marges de manœuvre nécessaires pour agir clairement et fermement au service des Français.»
Libération