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Décret sur les sanctions contre les allocataires du RSA : le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté demande un moratoire

Décret sur les sanctions contre les allocataires du RSA : le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté demande un moratoire

«D’une situation de détresse nous passons à une situation de grande détresse. Si je n’avais pas eu ma famille, je serais devenue sans domicile fixe», témoigne une femme qui a vécu pendant un an la suppression du versement du revenu de solidarité active (RSA). Par le témoignage d’une membre de son cinquième collège, rassemblant les personnes en situation de précarité et de pauvreté qui comptent pour la moitié de ses 65 membres, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) conclut son dernier avis sur la loi dite pour le plein-emploi votée en décembre 2023.

Dans ce texte consacré au projet de décret détaillant le nouveau régime de sanctions prévu pour les allocataires du RSA, l’instance, placée auprès du Premier ministre et présidée par le sociologue Nicolas Duvoux, redit «son opposition de principe à l’esprit et à la lettre de la loi pour le plein-emploi» et réitère sa demande d’un moratoire de ce texte que le gouvernement compte publier dès le 1er juin. Serait alors créée une nouvelle sanction, dite de «suspension remobilisation», activable dès le constat du premier «manquement» et, avec elle, la possibilité de suspendre ou de supprimer de 30 à 100 % de cette allocation.

Ces nouvelles règles, promues en contrepartie d’un meilleur accompagnement, feraient diminuer le taux de chômage en facilitant l’insertion des plus précaires, ont martelé les quatre gouvernements successifs qui ont défendu tour à tour ce dispositif ; celui d’Elisabeth Borne qui l’a imaginé quand la promesse de plein-emploi scandait encore les discours de l’exécutif, celui de Gabriel Attal qui était sur le point de faire paraître ce décret lorsque la dissolution a été décidée, celui de Michel Barnier qui a travaillé sur ses modalités puis celui de François Bayrou qui s’apprête à le publier.

Ces nouvelles règles ne feront qu’accroître la pauvreté, considère, au contraire, le CNLE, d’autant que le renforcement de l’accompagnement se fait attendre. «Loin d’introduire de la graduation ou un équilibrage du régime de sanctions actuelles, [cela] risque d’affaiblir l’accès aux droits des publics visés en multipliant les sanctions, rendues plus aisées par l’absence des protections encadrant actuellement les sanctions, et de contribuer, en cela, à l’accroissement du non-recours aux droits et de la pauvreté», écrit le Conseil dans son avis.

Placer sur le même plan les demandeurs d’emploi et les allocataires et demandeurs du RSA, qui sont automatiquement inscrits avec leurs conjoints et conjointes chez France Travail depuis le 1er janvier, mélange deux cadres de prises en charge, relève le conseil, l’un reposant «sur une logique contributive d’assurance», l’autre «sur la solidarité nationale». «Une telle assimilation risquerait de méconnaître les inégalités sociales, notamment de santé, auxquelles sont confrontés certains publics, et de faire peser sur ces derniers la responsabilité de manquements qui tiennent plutôt à des facteurs structurels», redoute-t-il. Et comme le meilleur accompagnement ne s’est pas matérialisé, l’instance craint que les pressions soient plus fortes à la fois sur les allocataires et sur les professionnels, ce qui renforcerait «la probabilité de manifestations d’une maltraitance institutionnelle des allocataires d’une part, et l’usure professionnelle et la perte de sens au travail des professionnels d’autre part». Sans compter que les dernières années ont montré que baisse du chômage ne signifiait pas pour autant recul de la pauvreté.

Le CNLE dresse une liste des dispositions de ce décret, sur lequel le Conseil d’Etat va se prononcer dans les prochains jours, qui lui semblent problématiques au regard du droit. Il juge notamment ce «nouveau régime de sanctions contradictoire avec le préambule de la Constitution de 1946, repris en 1958, et sa référence aux moyens convenables d’existence», et redit sa recommandation d’instaurer un revenu plancher. Il pointe par ailleurs le «risque de ruptures d’égalité devant le droit au regard des modalités par lesquelles les collectivités se saisiront de ce décret». Il souligne aussi que le délai de recours, ramené de trente à seulement dix jours, «est très largement insuffisant», déplore que la première sanction ne fasse «pas l’objet d’un examen en équipe pluridisciplinaire», et considère contradictoire au respect du juste droit «l’absence de possibilité pour un allocataire de bénéficier de nouveau de la prestation dès la mise en conformité avec ses obligations».

Quand, à l’été 2023, l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne assurait vouloir, par cette réforme, «renouer avec l’esprit du RMI» mis en place sous Michel Rocard en 1988, en permettant «à chacun d’avoir de quoi vivre en étant en même temps accompagné vers l’emploi», le CNLE a une lecture opposée. Il y voit le prolongement d’une «dynamique de renversement de la responsabilité de la collectivité envers les populations démunies en une responsabilisation individuelle des personnes en situation de pauvreté», et un «déséquilibre qui rompt, de manière plus radicale, avec l’esprit pédagogique et équilibré du contrat d’insertion du RMI». Reste à savoir ce que fera le gouvernement Bayrou de la demande de moratoire du Conseil, qu’il a saisi sur ce projet de décret alors que cette consultation n’était pas obligatoire.

Libération

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